Commentaires philosophiques et scientifiques
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[Philosophical and scientific Comment]

Georges Bataille's contemplation of a tortured Chinese

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Des "Exercices spirituels" sur un supplicié chinois


(L’expérience intérieure, Gallimard, 1943)
[47] Être face à l’impossible —exorbitant, indubitable — quand rien n’est plus possible est à mes yeux faire une expérience du divin ; c’est l’analogue d’un supplice”
[49]: “‘J’enseigne l’art de tourner l’angoisse en délices’
[152] “Qu’on se figure le lieu, les personnages du drame, le drame lui-même: le supplice auquel le Christ est conduit. Le disciple de St Ignace se donne à lui-même une représentation de théâtre. Il est dans une chambre paisible; on lui demande d’avoir les sentiments qu’il aurait au Calvaire (...) On le veut sorti de lui-même, dramatisant tout exprès cette vie humaine...”
[153] “De toute façon, nous ne pouvons projeter le point-objet que par le drame. J’ai eu recours à des images bouleversantes. En particulier, je fixais l’image photographique — ou parfois le souvenir que j’en ai — d’un Chinois qui dut être supplicié de mon vivant (1) [note sur Dumas] De ce supplice, j’avais eu, autrefois, une suite de représentations successives. A la fin, le patient, la poitrine écorchée, se tordait, bras et jambes tranchés aux coudes et aux genoux. Les cheveux dressés sur la tête, hideux, hagard, zébré de sang, beau comme une guêpe.
J’écris “beau” ! ... Quelque chose m’échappe, me fuit, la peur me dérobe à moi-même et, comme si j’avais voulu fixer le soleil, mes yeux glissent”.

Un amour où l’instinct sadique n’a pas de part


(L’expérience intérieure)
Le jeune et séduisant Chinois dont j’ai parlé, livré au travail du bourreau, je l’aimais d’un amour où l’instinct sadique n’avait pas de part: il me communiquait sa douleur ou plutôt l’excès de sa douleur et c’était ce que justement je cherchais, non pour en jouir, mais pour ruiner en moi ce qui s’oppose à la ruine.

Sa nature "mise à nu"


Le coupable (Gallimard, 1944)
[37] M’imaginant supplicié, je suis en transe.
[38] Je viens de regarder deux photos de supplice. Ces images me sont devenues familières. L’une d’elle est néanmoins si horrible que le cœur m’a manqué.
[48] Je suis hanté par l’image du bourreau chinois de ma photographie, travaillant à couper la jambe de la victime au genou: la victime liée au poteau, les yeux révulsés, la tête en arrière, la grimace aux lèvres laisse voir les dents.
La lame entrée dans la chair du genou: qui supportera qu’une horreur si grande exprime fidèlement “ce qu’il est”, sa nature "mise à nu ?”

L'"extase" du supplicié et l'interprétation sadique du lingchi


(Les larmes d'Eros, Pauvert, 1961)
[233]    Le monde lié à l’image ouverte du supplicié photographié, dans le temps du supplice, à plusieurs reprises, à Pékin, est, à ma connaissance, le plus angoissant de ceux qui nous sont accessibles par des images que fixa la lumière. Le supplice figuré est celui des Cent morceaux, réservé aux crimes les plus lourds. Un de ces clichés fut reproduit, en 1923, dans le Traité de psychologie de Georges Dumas. Mais l’auteur, bien à tort, l’attribue à une date antérieure et en parle pour donner l’exemple de l’horripilation : les cheveux dressés sur la tête ! Je me suis fait dire qu’afin de prolonger le supplice, le condamné recevait une dose d’opium. Dumas insiste sur l’apparence extatique des traits de la victime. Il est bien entendu, je l’ajoute, qu’une indéniable apparence, sans doute
[234] moins liée à l’opium, ajoute à ce qu’a d’angoissant l’image photographique. Je possède, depuis 1925, un de ces clichés (reproduit p. 234). Il m’a été donné par le Dr. Borel, l’un des premiers psychanalystes français. Ce cliché eut un rôle décisif dans ma vie. Je n’ai pas cessé d’être obsédé par cette image de la douleur, à la fois extatique (?) et intolérable. J’imagine le parti que, sans assister au supplice réel, dont il rêva, mais qui lui fut inaccessible, le marquis de Sade aurait tiré de son image: cette image, d’une manière ou de l’autre, il l’eût (sic) incessamment devant les yeux. Mais Sade aurait voulu le voir dans la solitude, au moins dans la solitude relative, sans laquelle l’issue extatique et voluptueuse est inconcevable.
[237]    Bien plus tard, en 1938, un ami m’initia à la pratique du yoga. Ce fut à cette occasion que je discernai, dans la violence de cette image, une valeur infinie de renversement. À partir de cette violence — je ne puis encore aujourd’hui m’en proposer une autre plus folle, plus affreuse — je fus si renversé que j’accédai à l’extase. Mon propos est ici d’illustrer un lien fondamental : celui de l’extase religieuse et de l’érotisme — en particulier du sadisme. Du plus inavouable au plus élevé. Ce livre n’est pas donné dans l’expérience limitée qu’est celle de tous les hommes (sic).
    Je ne pouvais le mettre en doute...
    Ce que soudainement je voyais et qui m’enfermait dans l’angoisse — mais qui dans le même temps m’en délivrait — était l’identité de ces parfaits contraires, opposant à l’extase divine une horreur extrême.
    Tel est, selon moi, l’inévitable conclusion d’une histoire de l’érotisme. Mais je dois l'ajouter: limité à son domaine propre, l'érotisme n'aurait pu accéder à cette vérité fondamentale, donnée dans l'érotisme religieux, l'identité de l'horreur et du religieux. La religion dans son ensemble se fonda sur le sacrifice. Mais seul un détour interminable a permis d'accéder à l'instant où, visiblement, les contraires paraissent liés, où l'horreur religieuse, donnée, nous le savions, dans le sacrifice, se lie à l'abîme de l'érotisme, aux derniers sanglots que seul l'érotisme illumine.



 
  Directeur éditorial: Jérôme Bourgon / IAO: Institut d'Asie Orientale
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